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Intégrer les contraintes du travail dès la conception

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    L'usure professionnelle, qu'elle soit physique ou cognitive, interpelle fortement les concepteurs de situations de travail. Trop rares sont encore les systèmes de production qui intègrent des objectifs de réduction de la pénibilité du travail autrement que par la correction a posteriori des situations les plus pénalisantes. L'enjeu : intégrer, dès la conception, les caractéristiques du travail ainsi que celles des salariés.

    Cette entreprise de l'agro-alimentaire fabrique des produits surgelés. Elle occupe près de 200 personnes dont 150 en production.

    Avec un âge moyen de 43 ans et une ancienneté de 22 ans, beaucoup de salariés ont été confrontés au cours de leur carrière à de fortes contraintes.

     

    Demande de l'entreprise

    Un état des lieux réalisé par le médecin du travail a montré que le développement des TMS constitue un problème important pour l'usine (16 cas déclarés et 30 potentiels). Cet état de fait, combiné à l'avancée en âge de nombre d'entre eux, les expose aujourd'hui à des risques de vieillissement prématuré.

    L'entreprise souhaite donc engager une étude ergonomique des postes de production.

     

    Démarche

    L'intervention se déroule en deux temps :

    • Un diagnostic est réalisé dont les conclusions sont validées par la direction et le CHSCT ;
    • Puis un groupe de travail est mis en place pour approfondir la démarche. Il concerne principalement les techniciens et les cadres.


    Trois points clés ressortent du diagnostic :

    • Améliorer l'architecture des postes en partant du principe qu'une correction pertinente ne correspond que rarement à la solution la plus évidente, telle qu'elle pourrait apparaître après une observation rapide par un technicien. Les choix doivent résulter d'une véritable analyse, conduite avec les salariés concernés, afin de déboucher sur une authentique compréhension des «façons de faire» issues de l'expérience (ou a contrario de l'inexpérience).
    • Intégrer les «débordements». En effet, le process ne peut être interrompu lors d'un dysfonctionnement au conditionnement : les produits cheminent sur un tapis, traversent un four-tunnel puis une centrale de congélation, ce qui signifie qu'un arrêt du tapis entraîne rapidement la carbonisation des produits dans le four. Les débordements se caractérisent donc par la nécessité de retirer dans l'urgence les produits de la ligne lors de dysfonctionnements. Ceci peut arriver à tout moment, parfois de façon répétée, à divers endroits et pour différentes raisons. Les observations ont pu mettre en évidence qu'il existait deux catégories de dysfonctionnements, les uns sont pour une part aléatoires (film d'emballage de moindre qualité qui se déchire dans la filmeuse) les autres sont en lien avec le process (changement de bobines du film). Dans ce second cas, il est possible de rechercher les conditions d'une meilleure anticipation. Par ailleurs, il s'agit de rechercher des réponses organisationnelles et techniques compte tenu du coût de ces débordements à différents niveaux. Au plan psychique tout d'abord (car dans ces périodes les opérateurs sont débordés physiquement et mentalement. Ces situations sont en effet génératrices de stress), au plan physique (car ce sont lors de ces phases de débordements et de précipitation que les opérateurs sont les plus exposés notamment aux risques lombalgiques et TMS), et enfin au plan économique (car les débordements occasionnent des pertes de produits par rupture de la chaîne du froid).
    • Identifier et transmettre les savoir-faire des opérateurs qui gèrent le mieux les débordements, car tous ne les gèrent pas de la même façon, et ces savoirs faire ont indiscutablement des vertus d'économie tant en termes de santé que d'efficacité de la production.

    À l'issue de cette première étape est mis en place un groupe de travail afin de prolonger le diagnostic par des actions concrètes, et pour transférer aux acteurs relais de l'entreprise des repères et des outils d'analyse du travail. Ce groupe est composé du RRH, de l'infirmière du travail, de la secrétaire du CHSCT, par ailleurs pilote de ligne, de deux responsables de lignes, du responsable des travaux neufs et du responsable de production. L'objectif est double : - Identifier les compétences et les savoir-faire mis en œuvre par les opérateurs expérimentés pour réagir à « moindre coût » aux situations de débordement; - Définir des éléments de cahier des charges concernant la conception et l'environnement des situations de travail afin d'en réduire, autant que faire se peut, la pénibilité. L'objectif sera de rechercher des réponses concertées afin de mieux garantir leur pertinence.

    Par ailleurs, une finalité clé est retenue : construire un point de vue partagé sur les situations de travail et les améliorations à apporter pour réduire les risques d'usure professionnelle.

     

    Bilan

    Trois séances de travail de 4 heures ont lieu : la première s'appuie sur le visionnage de séquences vidéo, tournées dans l'entreprise, à partir desquelles la confrontation des points de vue permet de construire une analyse commune et la suite de la démarche. A cette occasion les participants "découvrent" que, selon la place et le rôle qu'on occupe dans une organisation, on ne "voit" pas la même chose alors que l'on regarde la même situation de travail. Par ailleurs des repères méthodologiques sur l'analyse du travail sont fournis. Entre les séances, les participants conduisent par eux-mêmes des observations dans la double perspective de mieux comprendre les situations à problèmes telles qu'elles sont vécues par les opérateurs et d'identifier les compétences mises en œuvre dans ces situations. La deuxième et la troisième réunion sont consacrées à l'analyse des résultats des observations.

    Sur ces bases, une identification des configurations "prioritaires" pour des actions de correction a été effectuée ainsi qu'un premier recensement des compétences clés. L'analyse a montré à quel point celles-ci sont inégalement réparties, voire méconnues, y compris par des opérateurs relativement anciens. La première question qui se pose est donc de s'assurer de leur transmission. La deuxième question est de s'assurer que les opérateurs disposent de repères et de consignes claires afin d'être en mesure de savoir quoi faire dans telle situation particulière. Les observations ont montré que, dans plusieurs cas, existaient des différences d'appréciation non négligeables sur les actions à conduire. Cette anomalie est due à une évolution des consignes dans le temps. Ce point n'est pas neutre car il explique les différences de modes de gestion des débordements d'un opérateur à un autre, ou d'une équipe à une autre. De plus, en fonction des diverses configurations selon les produits, la gestion sera différente, sachant que plus il y a de personnes sur la ligne et plus la gestion et la régulation seront difficiles.

    Le partage de ces constats a modifié le regard porté sur le travail par l'encadrement. La prise en compte du point de vue des opérateurs a pris un sens différent qui renouvelle les modalités de gestion, mais aussi de conception des situations de travail.

    Le rapprochement des enjeux de santé et des enjeux économiques a pris une dimension concrète.

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